Elia Kazan, réalisateur d’Un tramway nommé désir (1951), Un homme dans la foule (1957), La Fièvre dans le sang (1961), signe avec À l’est d’Eden son film le plus libéré des contraintes formelles passées, et livre ici toute sa sensibilité, sa vision de l’intime et de la liberté. La lumière de la Californie, dotée d’une « finesse impressionniste » (Roger Tailleur), s’associe à des instants d’émotion pure. Lorsqu’il se remémore le long entretien qu’il eut avec Elia Kazan, Bertrand Tavernier écrit, à propos des personnages du cinéaste : « Il y a en eux le même cri de fauve où la richesse de l’image, le poids de la réalité, la longue accoutumance des individus à une société, à un pays, à la nature affolent soudain l’écran. Comme une lame de fond affole la mer. » (Amis américains, Institut Lumière / Actes Sud, 2008). Kazan n’appréciait pas le recours systématique à la psychologie. Selon lui, le bagage hérité par chacun influençait, certes, nos comportements, mais n’était pas si déterminant. À chacun de construire son destin. Avec À l’est d’Eden, il reconnaît avoir fait un film totalement biblique, transposition de l’histoire des frères Abel et Caïn. Comme le souligne André Bazin : « L’intention de Kazan n’a rien de psychologique ; elle est, au contraire, ouvertement morale et religieuse, son processus est purement allégorique » et ajoute sur l’aspect formel du film : « Elia Kazan est peut-être le premier à avoir su utiliser le Cinémascope dans un film cependant constamment centré sur l’homme. Justement parce que son propos n’était pas psychologique, le décor n’est jamais distinct du sens moral de la scène. » (L’Avant-Scène, novembre 1975). À l’est d’Eden est l’un des trois films qui érigea James Dean en mythe absolu. Lorsque Kazan le voit dans une pièce à Broadway, il dit de lui : « Il n’avait aucune adaptabilité. C’était juste un gamin qui souffrait, et qui faisait autant craquer les hommes que les femmes. Tous voulaient le prendre dans leurs bras et le consoler. James Dean avait un visage très poétique, un visage beau et très douloureux. » Le tournage fut chaotique, de par la mauvaise volonté et l’agressivité de James Dean. Mais dès que la caméra se met en route, le miracle opère : Dean crève l’écran.
Steinbeck
Le film d’Elia Kazan est une adaptation du roman fleuve de John Steinbeck, À l’Est d’Eden, publié en 1952. Séduit par le livre, Kazan souhaite utiliser plus particulièrement le dernier épisode de cette longue et magnifique épopée de la famille Trask. Le cinéaste réussit à convaincre le romancier qui lui donne son accord, les deux hommes ayant déjà travaillé ensemble sur le scénario de Viva Zapata ! (1952).
Inspiration biblique
Le titre de l’œuvre de Steinbeck est inspiré du passage de la Bible racontant la fuite de Caïn, fils d’Adam, après le meurtre de son frère Abel. Livre de la Genèse, chapitre 4, verset 16 : « Caïn se retira de devant l’Éternel, et séjourna dans le pays de Nod, à l’Est d’Eden. »
Des acteurs de Broadway
Plusieurs acteurs sont envisagés pour le rôle des frères ennemis, dont Marlon Brando et Montgomery Clift. Puis Paul Newman pour le rôle de Cal. Mais c’est finalement James Dean qui décroche le rôle après quelques essais. C’est à Broadway, lors d’une représentation de L’Immoraliste d’André Gide, qu’Elia Kazan découvre les talents de comédien de James Dean. C’est également sur les planches que le réalisateur repère Julie Harris dans Colombe de Jean Anouilh.
James Dean, étoile filante d’Hollywood
En choisissant un obscur acteur de théâtre pour le rôle de Cal, Elia Kazan donne à James Dean son véritable premier rôle au cinéma. Grâce aux méthodes de l’Actors Studio (en partie fondé par Elia Kazan) appliquées à la lettre, James Dean s’inspire de sa propre jeunesse et de la perte de sa mère. Ce personnage de rebelle, endossé également dans La Fureur de vivre de Nicholas Ray (Rebel Without a Cause, 1955) fait de lui une idole et une icône pour la jeunesse américaine des années 1950, jeunesse inquiète et révoltée. De superstar, il devient mythe suite à son décès le 30 septembre 1955 sur la route de Salinas. Véritable délire de larmes aux États-Unis, l’accident passe inaperçu en France : personne ne connaît l’acteur de 24 ans, son premier film n’étant programmé sur les écrans que quelques semaines plus tard.
Warner
C’est grâce à Warner que le film de Kazan (qui tournait pour la première fois en scope et en couleur) est montré pour ce festival Lumière, pour la première d’une copie restaurée numérique. Et ce, sur le grand écran de la salle lyonnaise qui l’accueillait à l’époque : le Pathé Cordeliers (ex-Scala). Un coffret James Dean verra bientôt le jour, occasion d’évoquer l’acteur en même temps que le film et le réalisateur.
À l’Est d’Eden (East of Eden)
États-Unis, 1955, 1h55, couleurs, format 2.55
Réalisation : Elia Kazan
Assistants réalisation : Don Alvarado (sous le pseudonyme de Don Page), Horace Hough
Scénario : Paul Osborn d’après le roman À l’Est d’Eden de John Steinbeck
Photo : Ted McCord
Musique : Leonard Rosenman
Montage : Owen Marks
Décors : George James Hopkins
Costumes : Anna Hill Johnstone
Production : Elia Kazan, Warner Bros.
Interprètes : James Dean (Cal Trask), Julie Harris (Abra), Raymond Massey (Adam Trask), Burl Ives (Sam, le sheriff), Richard Davalos (Aron Trask), Jo Van Fleet (Kate), Albert Dekker (Will Hamilton), Lois Smith (Anne), Harold Gordon (Gustav Albrecht), Nick Dennis (Rantani)
Avant-première à New York : 9 mars 1955
Sortie aux États-Unis: 10 avril 1955
Présentation au Festival de Cannes : mai 1955
Sortie en France : 26 octobre 1955
COPIE RESTAURÉE
Warner
Distributeur : Warner Bros. / Swashbuckler Films
Restauration 4K effectuée à partir du négatif original, par Warner Bros. Motion Picture Imaging (MPI).
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