Le premier film américain de Paul (devenu Paul) Fejos, cinéaste d’origine hongroise (doit-on rappeler que l’Europe inventa Hollywood ?), The Last Moment (1927), aujourd’hui perdu, était un film expérimental, constitué notamment de flash-back, dont la qualité et le succès conduisirent Universal à signer un contrat avec le cinéaste. Solitude, son deuxième film, est un trésor, l’œuvre d’un cinéaste peu connu hors des cercles cinéphiles, au style audacieux et unique, qui finira sa vie d’artiste en réalisant des documentaires. « Cet aspect ethnographique est déjà sous-jacent dans Solitude, lorsque l’on observe ces passages quasi documentaires dans lesquels il capture la ville de New York dans toute sa vivacité fiévreuse. » écrit Phillip Lopate, dans un bel essai sur le cinéaste, Lonesome : Great City, Great Solitude, pour le blu-ray de Criterion. « Je voulais filmer New York avec sa gigantesque pulsation, dira Fejos. Tout le monde se presse, même s’ils ont le temps, vous courez vers le métro… cette terrible pression qui pèse sur les gens, les millions de personnes parmi lesquels vous évoluez, mais au sein desquels vous vous sentez toujours seul. »
Alors qu’il est sous contrat avec Universal, Fejos parvient à en déjouer les pièges, pour faire un film personnel. Et majoritairement muet, ce qui veut dire, "un peu (très peu) parlant ". Fejos avait de toute façon une méthode particulière. Il teinta et coloria des séquences, fit des effets de surimpression, un montage expérimental, et utilisa une caméra nomade. Afin de sacrifier à la mode du parlant, il ajouta trois scènes dialoguées au film. Pendant des années, Solitude a été une véritable rareté, uniquement visible en festival ou en cinémathèque. Paul Fejos, poète de l’image, est habité par un goût de l’ombre et de la lumière indissociable de son activité de peintre. Le film, qu’on a aussi considéré comme pré-néoréaliste, est une alliance sublime entre un contenu populaire américain et la sensibilité européenne et artistique du cinéaste hongrois. Un film court, un film beau, une bombe de cinéma.
Un réalisateur cosmopolite aux multiples métiers
Paul Fejos a d’abord tourné dans son pays. Puis il s’expatrie aux États-Unis, revient un temps en Europe, où il tourne en France (Fantômas), en Autriche (Gardez le sourire ! )… Lorsqu’il se tourne vers le documentaire, ce sera Madagascar, l’Indonésie, la Thaïlande, le Pérou… Et quand il abandonne le cinéma, c’est pour repartir vers ses premières amours, la science. Jeune homme, il avait fait des études de médecine, il devient donc explorateur et anthropologue.
Une chanson
Solitude est sans doute le premier film de la période qui fait d’une chanson (Always, un tube du moment) un élément dramatique récurrent.
Coney Island
Solitude est tourné à Coney Island. Cette péninsule à l’extrême sud de Brooklyn est devenue, dès le milieu du XIXe siècle, un lieu de villégiature arborant grands hôtels et plages sur l’Atlantique. Au pic de sa popularité au début du XXè siècle, Coney Island accueille les Newyorkais qui veulent échapper à la chaleur de la ville : au programme, grande roue, montagne russe, concours du plus grand mangeur de hot-dogs chez Nathan’s Famous, course hippique, baignade… Comme Fejos, d’autres réalisateurs choisiront de tourner dans ce lieu mythique, tel Woody Allen dans Annie Hall (1977).
Des acteurs inconnus
Si Solitude est un film miraculeux, c’est certes grâce à Fejos, mais aussi à ses deux acteurs principaux, Glen Tryon et Barbara Kent, comédiens de second plan qui ne trouvèrent, ni avant, ni après, d’autres rôles aussi remarquables. Plus encore que Jim Murray et Eleanor Boardman, interprètes de La Foule (The Crowd), de King Vidor, la même année, leur couple incarne de façon emblématique les petits employés newyorkais des années 1920. Barbara Kent est décédée en 2011, à l’âge de 104 ans.
Solitude (Lonesome)
États-Unis, 1928, 1h09, noir et blanc, format 1.20
Réalisation : Paul Fejos
Scénario : Edward T. Lowe Jr., Tom Reed, d’après une histoire de Mann Page
Photo : Gilbert Warrenton
Montage : Frank Atkinson
Décors : Charles D. Hall
Production : Carl Laemmle Jr., Universal Pictures
Interprètes : Barbara Kent (Mary), Glenn Tryon (Jim), Fay Holderness (la femme très bien habillée sur le manège), Gustav Partos (l’homme romantique sur le manège), Eddie Phillips (le gentleman sportif dans le bus), Andy Devine (l’ami de Jim)
Sortie aux Etats-Unis : 30 septembre 1928
Sortie en France : 24 janvier 1929
COPIE RESTAURÉE
George Eastman House
CINÉ - CONCERT
Projection à l'Institut Lumière avec un accompagnement musical au piano par Nicolaï Della Guerra
Copie 35 mm restaurée et préservée par la George Eastman House. Les premiers travaux de restauration ignoraient les scènes en couleur et les scènes sonores. Des restaurations ultérieures ont rétabli la couleur et les intertitres anglais, mais le film était encore souvent montré muet, avant cette nouvelle restauration qui réunit tous ces éléments. Finalement, tous ces éléments ont pu être rassemblés. Préservation financée par Packard Humanities Institute et Universal Studios.
Ce site nécessite l'utilisation d'un navigateur internet plus récent. Merci de mettre à jour votre navigateur Internet Explorer vers une version plus récente ou de télécharger Mozilla Firefox. :
http://www.mozilla.org/fr/firefox