Le Fruit défendu

Inspiré de Lettre à mon juge de Georges Simenon, publié en 1947, Le Fruit défendu est une histoire d’adultère dans un milieu bourgeois provincial. Simenonien, donc. Mais le film surprend, d’abord parce qu’il est tourné en Provence plutôt que dans le pays nantais du roman, et parce que le personnage principal est incarné par l’acteur comique le plus populaire de l’époque : Fernandel. Chaque jour, à son arrivée sur les plateaux, le comédien déclenchait des mouvements de foule impressionnants : « Lorsqu’il se présentait aux abords de la gare Saint-Charles pour tourner la scène de la rencontre avec Martine, c’était quasiment l’émeute, se souvenait Henri Verneuil. L’enthousiasme envahissait la Canebière, occasionnant un mémorable embouteillage. L’arrivée à Arles entraîna la même liesse populaire. Du maire au préfet en passant par le plus humble des Arlésiens, tous voulaient voir jouer Fernandel. »
Le rôle de Martine est campé par une quasi-débutante, Françoise Arnoul. Elle défraya quelque peu la chronique, choquant et subjuguant à la fois le public : « Le Fruit défendu lance une Françoise Arnoul sans complexe, ni lointaine ni tourmentée, écrit René Prédal. Avec son célèbre ciré noir brillant de pluie, elle incarne une sensualité qui fait craquer la société hypocrite, bouleversant les vieux messieurs respectables nostalgiques de leur jeunesse. » Ce sera la première des cinq collaborations de Verneuil avec Françoise Arnoul, qui a tenu à être présente au festival Lumière pour l’hommage au réalisateur. Celui-ci tournera la même année Brelan d’as, un film à sketches dont l’un des épisodes sera également inspiré de Simenon, qu’il adaptera une nouvelle fois en 1960 dans Le Président avec Jean Gabin.

Une issue différente
Dans le roman de Simenon, le docteur Pellegrin, fou de jalousie, tue la jeune Martine. Fernandel, au sommet de sa carrière, ne peut s’imaginer en étrangleur – il avait certes déjà tourné Meurtres (1950) de Richard Pottier, dans lequel il tuait sa femme, mais celle-ci était incurable. Il fera alors modifier la fin du scénario à Henri Verneuil. Alors, que fera-t-il ?

Françoise Arnoul
C’est le producteur Ayres d’Aguiar qui suggère à Verneuil de faire passer des essais à Françoise Arnoul. Mais la veille du jour J, prise par le tract et malgré son immense envie de tourner avec Fernandel, celle-ci annule le rendez-vous. C’est de nouveau le producteur qui intercèdera en sa faveur, lui obtenant un déjeuner lors duquel elle convainc Verneuil : « Physiquement, j’étais ce personnage capable de tourner la tête à un homme marié. Honnête, Henri Verneuil a fini par en convenir. » Le réalisateur et l’actrice travailleront de nouveau ensemble sur plusieurs films dont le méconnu Les Amants du Tage et le superbe Des gens sans importance.