Jean-Pierre Melville se décrit comme un fétichiste de l’accessoire masculin : « Le héros de mes films noirs est toujours un héros armé. Il a toujours un revolver, et je vous assure que c’est un homme qui a tendance à porter un chapeau qui équilibre un peu le revolver au bout de la main. Cela fait partie de l’uniforme. » Adaptant un roman de la Série noire, Melville a volontairement quitté les rues de Montmartre où se déroulait l’intrigue, trouvant que l’aspect trop documenté sur ce quartier parasitait l’action. Il délaisse également l’argot, qu’il n’apprécie pas. Sur le plan formel, il revendique le classicisme et l’absence d’innovation : « Je n’ai pas l’ambition de réinventer le cinéma à chacun de mes films. Après l’échec de mon dernier film, je voulais toucher la masse des spectateurs. Cette audience nouvelle, c’est très important pour moi. » (Claude Beylie, Avant-Scène, mars 1963) L’abondance de scènes nocturnes, l’utilisation d’une lumière artificielle, donnent à ce polar une atmosphère unique, tout à fait représentative du style Melville. La question de la morale est omniprésente, et se trouve à différents degrés chez chacun des personnages. Ces derniers sont interprétés par des acteurs admirables : Michel Piccoli, Jean-Paul Belmondo, et naturellement Serge Reggiani, sensationnel.
À propos de Belmondo, Melville déclare dans les Cahiers du cinéma : « Il est le comédien le plus extraordinaire de sa génération. Il peut faire rigoureusement n’importe quoi. J’ai apprécié sa souplesse, sa sensibilité, sa docilité. Je crois que, depuis la mort de Gérard Philipe, c’est la plus grande révélation de notre cinéma. » Servi par une mise en scène implacable et une distribution impressionnante, Le Doulos est un film résolument noir et tragique, somptueux.
Un doule
Dans l’argot des policiers et des malfrats, "doule" signifie chapeau, et le "doulos" est le nom que l’on donne à celui qui le porte : l’indic. Précision du dossier de presse du Doulos lors de sa sortie : « Seuls vivent longtemps les "doulos" intelligents. »
New York vs. Paris
Amoureux du cinéma américain d’avant-guerre, Melville éprouve une dette pour les réalisateurs de cette période. Il leur rend hommage dans Le Doulos, hommage en
partie visible dans le décor : des fenêtres à guillotine recouvertes de stores métalliques, le local de police calqué sur celui des Carrefours de la ville de Ruben Mamoulian (City Streets, 1931), pas de bistrots parisiens, mais des bars… Melville : « Notez que ces détails sont suffisamment dissimulés pour ne pas choquer le spectateur français. […] Ce qui est important, c’est qu’il ressente une sorte d’envoûtement dû à ce décor inhabituel, qu’il le subisse sans le remarquer. »
Tarantino
Quentin adore Melville dont il salue la manière toute personnelle de puiser dans une inspiration américaine de quoi faire des films français et spécifiques. Dans une copie prêtée par le distributeur newyorkais Bruce Goldstein, le film sera projeté avec des sous-titres anglais, si jamais QT voulait le revoir…
Le Doulos
France, Italie, 1962, 1h50, noir et blanc, format 1.66
Réalisation & scénario : Jean-Pierre Melville d’après le roman Le Doulos de Pierre Lesou
Assistants réalisation : Volker Schlöndorff, Charles L. Bitsch
Photo : Nicolas Hayer
Musique : Paul Misraki
Montage : Monique Bonnot
Décors : Daniel Gueret, Pierre Charron
Production : Georges de Beauregard, Carlo Ponti, Rome Paris Films, Compagnia Cinematografica Champion
Interprètes : Jean-Paul Belmondo (Silien), Serge Reggiani (Maurice Faugel), Jean Dessailly (le commissaire Clain), Fabienne Dali (Fabienne), Michel Piccoli (Nuttheccio), René Lefèvre (Gilbert Varnove), Aimé de March (Jean), Monique Hennessy (Thérèse Dalmain), Marcel Cuvelier (un inspecteur), Jack Léonard (un inspecteur), Carl Studer (Kern), Christian Lude (le médecin), Jacques de Léon (Armand), Paulette Breil (Anita), Philippe Nahon (Rémy)
Sortie en France : 8 février 1963
Films français présentés avec sous-titres Anglais
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