Cœurs d’occasion

Deuxième des trois films produits par Lorimar, Cœurs d’occasion a un scénario signé Charles Eastman et une photographie dirigée par le grand Haskell Wexler, qui a déjà collaboré avec Hal Ashby. Une version plus courte de son scénario, sous son titre original The Hamster of Happiness (littéralement "Le Hamster du bonheur") a été interprétée par Eastman pour NBC et sa série d’anthologie non-conventionnelle diffusée en 1968, Experiment in Television, avec Mildred Dunnock et Susan Tyrell. Encore une fois, Ashby fait preuve d’un impressionnant engagement dans le style et le ton. Chez lui, le Sud-Ouest américain est une sorte de zoo rempli d’êtres excentriques et dangereux : des gangs mexicains, des chasseurs de serpent à sonnettes manchots, ainsi qu’un pervers sexuel. Le cinéaste propose de nouveau sa vision du monde aussi bizarre que gangréné qui l’entoure, notamment dans cette scène comprenant le fils de Dinette, prénommé symboliquement Human, et le pervers. Les personnages du film sont-ils tous une allégorie de l’humanité selon Ashby? Comme d’habitude, le cinéaste semble avant tout vouloir filmer l’histoire d’amour de deux marginaux, deux inadaptés au système. Barbara Harris est excellente dans son rôle : bavarde, excentrique, elle transcende son personnage de mère prête à tout pour donner un meilleur avenir à ses enfants, l’interprète avec justesse, lui donnant âme et profondeur. Robert Blake apporte son teint pâle et son visage inquiétant au personnage de Loyal, véritable boule d’angoisse maladive. Toujours à la limite de l’improvisation (ou parfois, de la nonchalance), le film fait songer au travail de Robert Altman avec ses comédiens. Les deux personnages, aussi hagards et esseulés l’un que l’autre, sont extrêmement touchants de maladresse. Quel que soit l’univers sombre et azimuté dans lequel Ashby évolue, il laisse toujours dans ses films la plus grande ouverture à la lutte, la diversité et la tendresse.

Une longue génèse…
Cœurs d’occasion a été tourné en 1978, mais n’est sorti qu’en 1981. En 1978, Ashby avait choisi de réaliser à la suite Cœurs d’occasion et Bienvenue Mister Chance, deux productions Lorimar, afin d’éviter toute perte de temps (une semaine seulement de pause fut prise entre les tournages). Ashby choisit de terminer Bienvenue Mister Chance en premier, et met Cœurs d’occasion de côté pendant près de deux ans.

… Et une sortie mineure
Enfin terminé, le film est présenté au Festival de New York, mais y est très mal reçu. Paramount, distributeur des productions Lorimar, décide de ne pas distribuer le film sur tout le territoire américain, mais de le sortir d’abord à New York, puis à Los Angeles un mois plus tard. Malgré la publicité que Robert Blake tente de faire au film, la critique reste moyenne et Paramount campe sur sa décision, ne le diffusant en définitive aux États-Unis que dans six villes, durant moins de deux semaines.

Fan de…
Quentin Tarantino est un fan du film, demandant aux organisateurs du festival Lumière (le film est inédit en France) de l’inclure dans la rétrospective. Fan de Robert Blake aussi, auquel il a consacré un week-end d’hommage en juillet 2013 au Cinefamily
à Los Angeles.

Un tournage difficile
Hal Ashby a l’habitude de laisser une part d’improvisation à ses acteurs, mais Robert Blake (le personnage étrange qui hante le Lost Highway de David Lynch) n’est pas à l’aise avec cette méthode, préférant se référer au script. Barbara Harris, qui a beaucoup travaillé avec différents groupes d’improvisation, se sent plus à l’aise. Mais l’alchimie entre les acteurs est difficile, Blake perdant son sang-froid quand Harris oublie son texte. Cette ambiance plombe les rapports entre les deux parties de l’équipe, celle choisie par Ashby et l’autre par Blake et qui ne s’entendent pas toujours…